Je viens de me rendre compte que je suis un usager régulier du transport en commun depuis cinquante années. En effet, en septembre 1968, je débutais ma triste carrière de trois ans au séminaire de Trois-Rivières et j'utilisais l'autobus, me déposant plus près de chez moi que celle des écoliers. Oh, bien sûr, j'avais pris l'autobus bien avant, au cours de mon enfance pour, par exemple, me rendre à ma taverne favorite pour me saouler.
Usager du transport en commun depuis très longtemps, je suis souvent l'espion, celui qui écoute les autres, les surveille, pour mon grand étonnement, les surprises, pour des séquences modifiées qui s'infiltrent dans mes romans. Parfois, j'y pense, d'autres fois pas du tout. L'autobus, c'est un univers en soi. Voici trois faits réels notés au cours des dernières semaines.
C'était le cas : elle m'a parlé. J'ai oublié mon aversion, car cette Danielle, au début de la trentaine, a rapidement éveillé ma curiosité. Elle s'exprimait clairement, mais avait l'étrange habitude de cesser abruptement de parler et d'être incapable de continuer. J'ai alors compris qu'elle souffrait d'une maladie et me suis montré poli. Elle abordait tous les sujets, mais toujours ces arrêts, comme si le néant l'empêchait de poursuivre. À une occasion, elle a baissé la tête, émue, comme si elle se rendait compte de la situation. Je la trouvais touchante. Danielle venait de passer Noël chez une amie et retournait chez elle, à Valleyfield.
Je suis un usager de l'autobus depuis mon enfance. Ça fait un bail ! Je fais partie des meubles, en somme, et je peux parcourir certains trajets en ne regardant pas par la fenêtre, sachant le moment où je descendrai. Par contre, depuis le début des années 1990, les autobus de Trois-Rivières présentent un élément détestable : la radio. Parfois très fort, si fort que je suis incapable d'écouter la musique dans mon baladeur. Une mauvaise idée que je n'ai pas croisée dans les véhicules d'autres villes du Québec.
N'ayant pas d'autre choix, je suis un usager du transport en commun. J'ai passé une partie de ma vie dans les autobus, y ai vécu et vu tant de choses que je pourrais créer un roman se déroulant dans un seul véhicule. Il y a toutes sortes de gens inhabituels, dans ces véhicules. Voyageant seul, j'avoue faire du voyeurisme auditif. Je me choisis un sujet et j'écoute, tel un espion. Parmi les gens curieux croisés très souvent : un homme, sans doute au début de la quarantaine, qui parle beaucoup, toujours accompagné d'un handicapé différent. J'ai longtemps pensé qu'il était handicapé lui-même, à cause de cette manie de parler sans cesse (bien qu'il ait du vocabulaire et soit articulé). Cet homme m'a toujours intrigué, car je le vois à toute heure du jour.