Pendant près d'une dizaine d'années, circa 1972-1982, je fus un client d'un bar de Trois-Rivières du nom de Cabaret Rio. Cabaret, ce local le fut un jour, puisque j'ai retrouvé sa trace dans les journaux des années 1950, alors que le lieu présentait des spectacles de variété du style "chanteuse exotique du Sud avec castagnettes". Il y eut, plus tard, des présentations de groupes yéyés et un grand trou noir que je ne saurais expliquer, car je n'ai pas trouvé de source. On m'a assuré qu'il y aurait eu un meurtre au Rio vers la fin des années 1960. Quoiqu'il en soit, en 1972, le mot Cabaret subsistait, mais le Rio était bel et bien une boîte rock. Très rock.
Le lieu était situé dans le sous-sol du cinéma Impérial et adoptait la forme longue d'une salle de ciné. Il y avait aussi deux paliers ; celui correspondant à la salle même et où je ne me suis presque jamais installé, puis l'autre palier, synonyme du vestibule, avec le bar à droite, puis l'estrade du DJ à gauche. C'est là que j'étais tout le temps, avec mon ami Gilles, responsable de mon initiation au Rio. L'autre grand copain Christian était plus que souvent de la partie, mais j'avais d'autres amis fidèles refusant le Rio, peut-être à cause du meurtre passé et aussi parce que le club était, dit-on, refuge de motards. Je n'ai jamais rencontré quoi que ce soit de répréhensible au Rio. Le serveur aux tables n'aurait pas voulu... Ah si ! Pas de serveuses ! Des hommes, tous de modèles géants et redoutables.
Beaucoup de musique, au Rio. De l'excellente ! On y entendait en majorité du rock et des pièces qui ne tournaient pas ailleurs. Il n'y a jamais eu de disco, de folklore ou de trucs trop mode sur les platines. C'est au Rio que j'ai connu des gens comme AC/DC, puis Police, un peu plus tard. Beaucoup de hard-rock classique (Purple, Led Zep, Sabbath) les incontournables progressifs (Yes, Genesis, ELP) et une bonne dose de Québécois. Forte, la musique ! Puissante ! Les enceintes sonores nichaient dans le fond de la boîte, de chaque côté de ce qui était une petite piste de danse.
Au Rio, on remplissait les cendriers et on vidait les bouteilles. Et on parlait, parlait sans cesse pour refaire le monde et l'actualité. On trippait ! À cause du cinéma, la musique ne pouvait pas être forte avant la fin de la diffusion des films, vers 23 heures. Très souvent, les amis me téléphonaient à 22 heures 45 pour me demande : "Tu viens au Rio ?" Inutile de s'y présenter avant : le Rio prenait vie après minuit, fermait ses portes à trois heures trente, mais je suis déjà sorti de là beaucoup plus tard.
Le Rio est disparu dans l'incendie de l'Impérial, autour de 1982. À ras le sol. Impossible de reconstruire. Je ferme les yeux et je revois la petite porte blanche avec l'indication "Cabaret Rio". Je revois l'escalier sombre où se réunissaient les fumeurs de pot. J'entends la musique, je sens l'odeur, je revois ces deux palliers. Je pense à cet aveugle et son chien guide qui était là tout le temps. Je revois les gens monter sur les chaises pour crier une demande spéciale au DJ. Et à jamais, des pièces de musique associées au Rio, comme celle que je vous présente. Plus de Rio ! J'y pense souvent... Puis j'ai des frissons en songeant à ce que le lieu serait devenu : un autre antre gouvernemental de rectitude politique.
Je n'ai pas de photo du Rio, pas plus que de l'Impérial. Alors, ci-haut, une photo de Gerry Boulet d'Offenbach me rappelant que j'ai dû entendre la chanson du jour des centaines de fois au Rio : Promenade sur Mars, par Offenbach.
Commentaires
Auto citation : j'avais écrit cette phrase dans mon roman Les Fleurs de Lyse.
J'adore cette phrase : "On remplissait les cendriers et on vidait les bouteilles ."