J'ai travaillé comme programmateur musical pour la station de radio CIGB de la fin de 1981 jusqu'au début de 1984. Cela consistait à choisir les pièces musicales à mettre en ondes, bref à décider de ce que le public allait entendre.
L'optique musicale de la station était archi-conservatrice. Il s'agissait de variété sage, composée de "valeurs sûres", avec une forte dose d'artistes français de type Gaga Mouskouri, Michel Sardine ou Joe Bassin, etc. Surtout etc. Genre musical que je n'aimais pas, mais personne ne travaille à la radio pour entendre de la musique, bien que nous étions obligés de la subir huit heures de suite, contrairement à l'auditeur qui avait le loisir de fermer son appareil. J'ai depuis conservé une profonde allergie face à ces artistes et à ce style.
Les chansons permises étaient écrites et reliées dans quatre gros cahiers à anneaux. Les codes étaient A (pour anglais), F pour France, Q pour Québec et I pour instrumental. Pour les catégories A et I, il y avait parfois l'ajout d'un C, signifiant que l'artiste était canadien, car nous étions tenus de programmer 60 % de musique canadienne. Je travaillais en manipulant sans cesse ces guides, bien que m'étant frotté à ces disques pendant un certain temps, il y en avait un grand nombre dont je connaissais les numéros par coeur et que je peux vous nommer plus de 30 années plus tard : Q 113 : disque de compilation de Jean-Pierre Ferland, I 72 : disque instrumental de Frank Mills, F 100 : compilation de Joe Bassin, etc. Il y avait aussi des codes pour désigner des chansons réservées au soir seulement, ou au matin. Les chansons sans codes pouvaient être entendues toute la journée.
Il y avait 18 feuilles à remplir, pour trois moments de la journée : matin, après-midi, soirée. Pour la nuit, on pouvait mêler les feuilles. Sur chaque feuille, représentant 60 minutes, il fallait écrire 20 chansons, bien qu'il était rare d'en faire tourner autant en une heure. L'ordre était découpé en quarts d'heure. Par exemple : A F F I Q, ou I F A Q F, etc. Il s'agissait d'écrire le numéro du disque, le titre de la chanson et l'interprète suite à ces lettres.
Je nageais dans ces feuilles à une vitesse folle, dit-on, beaucoup plus vite que les deux autres types ayant tenu le poste avant moi. J'allais rapidement car je ne réfléchissais pas : j'écrivais des titres de chansons et des numéros de disques de façon presque instinctive. Il y avait aussi une méthode disciplinée, me permettant de gagner du temps.
D'autres tâches : quand un artiste désirait une entrevue pour la promotion de son nouveau microsillon, c'est moi qui organisais le tout. J'ai ainsi pu faire connaissance avec des gens comme Diane Tell, Jacques Michel, Édith Butler, Renée Claude, tant d'autres !
C'est moi qui recevais les nouveaux disques, 33 et 45, qui les écoutais pour faire une sélection des pièces pouvant être susceptibles de rencontrer les normes de la station. Chaque vendredi, je proposais mes choix au directeur de la programmation qui acceptais ou non, puis le grand patron suivait avec le Oui ou le Jamais définitif. Je me souviendrai à jamais que le grand patron pensait que Francis Cabrel était un artiste "trop fou" pour la station... Le public québécois allait en décider autrement. Comme c'était très strict, peu de nouvelles chansons se faisaient entendre. J'adorais recevoir ces disques, car je jetais immédiatement les microsillons de rock dans mon sac. Quant aux 45 tours de promo, je les mettais dans un coin et les employés pouvaient fouiller librement et prendre ce qu'ils désiraient. Le 45 tours de promo de U2, illustré ci-haut, date précisément de l'époque de CIGB. J'avais aussi des relations téléphoniques avec des représentants commerciaux de compagnies de disques, particulièrement Columbia et Polygram et son Alain Martineau, qui me faisait des cadeaux "sous la couverture" qui arrivaient chez moi, et non à la station.
J'ai perdu le poste, remplacé par un système automatisé (de la programmation informatique, mais sans ordinateur) rendant l'ensemble encore plus conservateur. Bref, le poste de programmateur musical n'existait plus, la station faisant tourner les mêmes chansons dans le même ordre sans arrêt. Je croyais alors que les gens s'en rendraient compte. Non seulement j'avais tort, mais la majorité des stations dites "Réseau" fonctionnent toujours ainsi de nos jours. J'avais demandé à retrouver mon poste d'opérateur de nuit, mais on avait refusé.
Je m'occuperai de certains aspects musicaux pour deux autres stations.
Commentaires
Je les avais avant. Il ne faut cependant pas oublier que dans le cas de cette station de radio, je venais de passer deux années à manipuler les disques et les catalogues, comme responsable de la mise en onde, la nuit.
La musique, dans mon cas, ça date de l'enfance. Les autres garçons jouaient au cow-boy, pendant que j'écoutais des disques et la radio. On va ajouter des livres et des revues, cela pendant une vie entière...
Bonsoir Mario,
Je comprends mieux maintenant pourquoi tu as tant de connaissance en musique....