Si vous visitez les États de Nouvelle-Angleterre (New Hampshire, Connecticutt, Massachusetts, Maine, Vermont), vous serez étonné de croiser des noms de rues en français, des raisons sociales de commerces, de serrer la pince à un homme du nom de Dupont, mais qui sera incapable de vous saluer en français. Un descendant du demi-million de Québécois qui ont fui leur pays au profit des villes américaines, du milieu du 19e siècle jusqu'en 1930.
Les raisons de cet exode ? La pauvreté. Les familles imposantes de la campagne favorisaient le fils aîné, futur héritier de la terre paternelle. Le cadet était le défavorisé et l'avenir n'était pas rose pour ces jeunes hommes. Ce sont eux qui se sont exilés, assurés de trouver du travail et de gagner un salaire hebdomadaire dans les usines et manufactures américaines. Une réalité, tout comme celle que cette main-d'oeuvre était sous-payée. Les Américains de souche surnommaient ces Canadiens des "Chinois de l'est", en pensant aux Orientaux qui travaillaient pour quelques dollars dans l'Ouest.
Les fugitifs reproduisaient dans ces villes américaines l'organisation sociale de leurs villages. Ils habitaient tous les mêmes quartiers, surnommés les "Petits Canadas". Ils avaient leurs églises, prêtres et religieuses, leurs journaux, leurs associations, leur culture, etc. Et ils parlaient français. Sauf que l'Américain étant ce qu'il est, l'assimilation s'est mise en branle dès que le pays eut fermé ses portes aux immigrants, en 1930.
J'ai vécu, au cours de mon adolescence, une expérience de cette réalité avec une famille franco-américaine de la région de Manchester, au New Hampshire. C'était au cours de l'été 1972. Mon grand-père paternel avait appris que son beau-frère, son grand copain de jeunesse, était sur le point de trépasser. Grand-papa Alfred avait exprimé à son fils (Mon père) le désir de serrer son ami entre ses bras une dernière fois. Le franco-américain se nommait Côté et avait épousé une autre francophone. Plusieurs enfants sont venus, dont ce Robert, qui nous accueillait. Robert avait deux filles, à peu près de mon âge. Ce qui m'était apparu limpide : le vieillard s'exprimait avec un bon vieux français paysan typique du Québec ; son fils Robert s'efforçait de nous parler français, mais avec un accent anglais ; les deux filles auraient été incapables de me dire Bonjour. D'ailleurs, j'avais été confié à ces demoiselles, qui ne semblaient pas savoir que faire de moi. J'étais tout autant incapable de communiquer, mon anglais se limitant alors à Yes et No. Je me souviens que nous avions écouté des disques, dont le Chuck Berry London Sessions, ce qui m'a permis de mettre une date à ce voyage : 1972. Nous avions aussi fait une promenade en forêt. Robert était propriétaire d'une station-service, mais son nom avait été adapté à la réalité yankee : Bob Cote.
Au cours des années 1990, l'homme Robert s'était permis un voyage touristique dans le pays de son père et il avait rendu visite à mon papa. L'Américain m'avait serré la main, me faisant remarquer que ses filles se souvenaient de moi. Un peu plus tard, mon premier éditeur avait distribué un livre de contes écrit par un franco-américain. L'auteur avait participé à quelques salons du livre et se sentait heureux de pouvoir s'adresser en français au public. J'avais aimé m'entretenir avec cet homme, un ancien professeur maintenant à la retraite. Il m'avait raconté qu'il ne restait presque plus rien des petits Canadas de jadis, de la fierté de la culture francophone de ces exilés et qu'en Nouvelle-Angleterre, il y a plein de gens avec des noms français, mais qui ne connaissent pas la langue. Exemple : la chanteuse Natalie Merchant (à l'origine : Marchand).
L'assimilation se fait progressivement, à notre insu, surtout quand nous remplaçons des mots français par leur équivalent anglais. Le Québec s'est redressé face à cette situation, mais la lutte n'est jamais terminée. Soyons fiers de notre culture et protégeons la richesse de notre belle langue.
La photo ci-haut : le plus célèbre des franco-américains : l'écrivain Jack Kerouac, nom qui, au Québec, se dit Kirouac.