L'historien que je suis a entrepris ses études universitaires en enseignement. Une grave erreur de ma part. Je ne le dis pas avec le recul : après une année d'études dans ce domaine, je savais que je faisais fausse route. Cependant, comme je ne suis pas du style à laisser tomber, j'ai poursuivi, même si de session en session, le coeur n'y était plus.
Le "vrai truc", loin de la théorie, c'était le stage. Enfin, la réalité ! Il y avait deux stages prévus, chacun dans nos deux disciplines choisies. Chez moi : le français et l'histoire. Dans ce dernier cas, j'avais demandé la permission de trouver le milieu et le prof associé. Denis Boisclair, enseignant en histoire dans mon ancienne école, que j'avais connu lors de mon passage à la radio, puisque l'homme était animateur pour une station concurrente. Coup de téléphone et surprise : un accord rapide à l'amiable.
Retourner dans cette école que j'avais tant aimée me procurait une grande joie, même si j'avais eu un serrement de coeur en voyant que nos locaux d'activités parascolaires étaient devenus des entrepôts. Tout le reste était intact. Denis avait deux classes d'histoire. J'ai rapidement constaté une réalité qui allait m'avantager : Denis Boisclair était un prof aimé par ses élèves. Normal : il n'était pas banal. Ses cours étaient en soi un spectacle. Autoritaire, tout de même ! Un certain franc-parler très, très, très éloigné de mes cours théoriques universitaires...
Les étapes prévues : le stagiaire assiste à quelques cours, puis enseigne en présence du prof associé, et enfin le voilà seul face à la meute. Avec Denis, tout a été rapide. À la fin du jour 1, il me lance : "T'es prêt à commencer demain ?" Hein ? Demain ? Je ne souhaitais que ça ! À la fin de chaque période, Denis et moi discutions des points à améliorer. Il me donnait des conseils amicalement.
Quand je me suis retrouvé seul devant les jeunes, il y a eu quelques accrocs, mais rien de tragique. "Sois plus ferme", disait Denis. Je crois que les élèves (16 ans, en moyenne) m'ont apprécié parce que je n'étais pas éloigné de l'esprit de leur prof. D'ailleurs, Denis et moi avons donné une leçon en commun. Un véritable tourbillon qui a étourdi les adolescents.
Denis avait un truc que j'ai d'abord trouvé niais : il donnait des bonbons aux élèves. "Quoi ? Des bonbons ? À de grands adolescents ?". Lui : "Tu seras surpris de voir tout ce qu'ils peuvent faire pour obtenir une friandise." Pardi ! J'en suis demeuré bouche-bée ! Je suis certain que ces jeunes de 1995, maintenant devenus adultes, doivent se souvenir des bonbons de Denis Boisclair.
La dernière semaine, j'avais un puissant rhume et les élèves, le constatant, ont fait preuve de compassion. Il y en a même un qui est arrivé en classe avec un masque hygiénique en disant que je jetais des microbes partout ! Deux choses dont je me souviendrai toujours : un grand gars, chevelu modèle 1975, qui était toujours couché sur son pupitre, regardait par la fenêtre. "Lui ? Laisse-le faire. C'est mon meilleur." En effet ! Ce qu'on leur enseignait, c'était du petit lait pour ce gars. À 16 ans, il lisait des bouquins qui étaient obligatoires en histoire au niveau universitaire ! Aussi : une fille maniaque de chats. Elle en avait partout : sur son sac, ses vêtements, etc. Je l'appelais "Mademoiselle Minou" et j'ai attribué ce surnom à un des personnages de mon roman L'Héritage de Jeanne.
Malgré les très bons moments vécus lors de ce stage, je n'avais pas changé d'idée : être prof, ce n'était pas ma voie. J'ai souvent croisé Denis Boisclair par la suite, et toujours il était question du stage de février 1995.
Commentaires
Tu sais, être à l'université, c'était mon emploi.
Ce doit effectivement être très fustrant de travailler dans le vain