En treize années à l'université, j'ai vu passer des douzaines de profs, cela en pédagogie, en français et en Histoire. Les plus aimables étaient de ce dernier domaine, hommes et femmes avec qui je m'entendais. Je pourrais dire beaucoup de mal des enseignants en français et je n'aurais pas à rougir. C'est d'ailleurs un de ceux-là qui a eu le privilège d'une engueulade de ma part, pour une raison que je ne dirai pas, mais si vous êtes tant curieux, je vous répondrai dans la zone des commentaires.
Quand on est étudiant adulte, dans la quarantaine et la cinquantaine, on ne peut s'attendre à ce qu'un prof influence notre vie, comme cela arrive au cours de l'enfance et de l'adolescence. Pourtant, cela m'est arrivé à l'université, grâce à cet homme : Jocelyn Chamard.
Jocelyn Chamard était un professeur associé à l'Université de Montréal, présent à presque toutes les sessions à l'Université de Trois-Rivières, en qualité de chargé de cours. Un chargé de cours est la même chose qu'un prof d'université, sauf qu'il gagne moins cher. Monsieur Chamard était un spécialiste de l'histoire ouvrière, des révolutions, des mouvements sociaux. Chose rare : il m'a enseigné à quatre reprises. Malchanceux, disaient certains. Pas d'accord, mais je n'ai rencontré qu'une seule autre personne l'appréciant. Tous les autres ne l'aimaient guère.
Pourquoi ? Ses cours étaient surchargés, l'homme était un mauvais communicateur, parlant bas et avec de curieuses hésitations. Bref, il n'était pas captivant, ni spectaculaire. Après les cours, monsieur Chamard était assigné à un petit local, pour recevoir les étudiants désireux de lui poser des questions. C'est à ce niveau que j'ai découvert un aspect qui m'a beaucoup influencé, tant comme étudiant en Histoire que comme romancier.
En effet : Jocelyn Chamard répondait aux questions par des questions. Manie d'abord déroutante, mais qui permettait à l'étudiant d'aller plus loin qu'une réponse toute faite. Davantage que se surpasser : derrière les réponses-questions, il y avait toujours un doute, ce qui, en Histioire, est essentiel pour entreprendre une recherche aux niveaux supérieurs de la maîtrise et du doctorat. Comme j'ai aussi croqué dans ces deux bestioles, à chaque fois que je dénichais quoi que ce soit dans un document d'archive ou dans un livre, je me posais sans cesse des questions. Méthode substantielle et efficace. Mes profs à la maîtrise et au doctorat ne m'ont jamais parlé de ceci. Cependant, pour le mémoire et la thèse, il y avait l'ombre de Jocelyn Chamard à chaque page. Dans mes romans, je posais sans cesse des questions de base : Pourquoi ? Quand ? Où ?
Du point de vue pédagogique, l'homme avait un petit truc, pour les examens, qui permettait aussi d'aller un peu plus loin. Il donnait cinq questions deux semaines à l'avance, puis le jour de l'examen venu, il en posait deux. Les étudiants avaient donc préparé trois réponses pour rien ? Non, car ce travail leur a permis de mieux connaître la matière et de faire d'eux de meilleurs étudiants cultivés sur un sujet donné. Jocelyn Chamard était un homme formidable !
Commentaires
Florentin : Florentin, monsieur Chamard est vraiment le seul qui ait fait un truc semblable pour les examens. Cependant, je dois souligner que nous n'avions pas nos réponses toutes faites, lors de l'examen. Certains avaient mémorisé leur texte et d'autres, comme moi, les grandes lignes importantes,
Jakin : Pour ma part, c'est le milieu des étudiants qui m'a beaucoup déçu, en dernier lieu.
Merci Nikole pour ta participation, toujours appréciée.
J'aime aussi ce genre de profs qui ne t'assènent pas leur savoir du haut de leur estrade, mais te font participer en t'invitant à te prendre aussi en charge.
Bonsoir Mario, J'avais de l'Université une approche très passionnelle, je m'était imaginé que ce lieu était le temple du savoir et de la connaissance...Jusqu'à ce que je franchisse le pas à 50 ans. Et tout naturellement je me suis mis à commenter, discuter, et contredire le "prof" selon les canons de la sémantique. Et je me suis fais ramasser par ceux-là même qui m'ont vites fait remarquer que j'étais la pour écouter et rabâcher comme un perroquet ce que j'avais entendu pendant le cour, le jour des partiels....Déçu, mais opiniâtre j'ai tout de même poursuivi et soutenu ma thèse....
Un très bel hommage.
(Un Socrate quelque part ... ?)
Le doute et la question sont essentiels.