D’abord, le premier problème qui allait engendrer les autres : insomnie profonde, en totalité due à : 1)- Je ne suis pas capable de dormir quand je dois me lever tôt le matin 2)- Canicule épouvantable, accentuée dans la fournaise de mon logement. Me voilà donc en route vers Chicoutimi via Québec en autobus sans avoir dormi. Roupiller dans le véhicule? J’en suis incapable. Un second autobus part pour Chicoutimi vers dix heures trente. Un vieux teuf-teuf sans air climatisé, débordant de gens parlant sans cesse et très fort. C’était mon premier contact avec les Saguenéens… Le voyage dure près de trois heures, dans un parc faunique montagneux plein de côtes qui me font bourdonner les oreilles. Quand j’arrive à Chicoutimi, j’ai l’air d’un zombi et il fait encore plus chaud.
Je trouve facilement la rue des Éditions JCL : une côte interminable. J’arrive face à l’édifice, qui ressemble à un hôpital (un ancien orphelinat, apprendrais-je plus tard.) Je me présente à Jean-Claude Larouche et à son bras droit Christian Beaulieu. Je demande un café, mais n’ai pas le droit de fumer. Ils me posent des questions sur chacun des livres que je leur offrais. J’avais apporté des disquettes de tous les romans, ayant deviné que monsieur Larouche pensait que je bluffais en disant que la majorité des romans étaient déjà créés. En fin de compte, tout ce qu’ils m’ont demandé, ils auraient pu le faire par téléphone, mais je devine qu’ils désiraient voir ma gueule, qui devait être terrifiante à ce moment-là. Monsieur Larouche me promet de m’envoyer un contrat et qu’un premier roman serait sur les tablettes en 1998.
Monsieur Larouche vient me reconduire à temps pour l’autobus de seize heures. Heureusement, c’était moins bruyant, mais le trajet tout aussi long. Plus le temps passait, plus je regardais ma montre, en pensant au véhicule de Québec qui me mènerait à mon lit. À mon arrivée dans la capitale, on m'a dit que le monstre était en route depuis quinze minutes. Je m’informe du prochain départ pour Trois-Rivières : il n’y en a pas ! Il y avait un express vers Montréal à 21 heures. Je demande si le chauffeur ne pourrait pas arrêter brièvement pour me laisser en passant près de Trois-Rivières. On me répond que c’est contre les règlements. J’explique ma situation, ce qui n’émeut pas la femme du guichet, qui me propose de coucher à Québec et de prendre le premier autobus samedi matin. Je réponds la vérité : je n’ai pas d’argent pour une chambre et pas même assez dans mon compte de caisse pour me permettre un tel luxe. Un chauffeur dans le coin a entendu tout ce que je racontais et me dit qu’en demandant à son confrère de 21 heures, il pourrait y avoir entente. Il me restait près de deux heures à attendre. Ah! un détail : je n’avais pas mangé depuis le matin et me suis permis un sandwich au restaurant du terminus. Le véhicule enfin arrivé, j’explique mon cas au chauffeur, qui demeure de marbre. Il accepte à rebrousse-poil de me laisser dans les environs de Trois-Rivières et me dit que mon billet n’en était pas un pour l’express. J’ai dû demander un remboursement de mon billet et en acheter un autre, plus coûteux.
Quand l’autobus se met en route, je me rends compte facilement qu’il ne passe pas par le chemin habituel : il s’en va vers le sud ! Je vais voir le chauffeur, m’expliquant que c’est un express qui passe par l’autoroute de la rive sud. Moi : « Mais vous ne pouvez pas me laisser près de Trois-Rivières en passant par là ! » Lui : « Tu ne seras pas loin. Tu te débrouilleras. » J’étais furieux ! Je m’imaginais sur le bord de l’autoroute, dans un champ, cherchant la bonne route pour tendre mon pouce, endormi, affamé. Je n’étais pas au bout de mes surprises : je me suis endormi… Et réveillé à Montréal !
Un véhicule en direction de Trois-Rivières, peut-être ? Le dernier était parti quinze minutes plus tôt. Bref, j’étais dans la métropole, au début de la nuit, ayant dormi deux heures depuis la nuit du jeudi au vendredi, il me restait ce qu’il fallait d’argent pour le billet du samedi matin, j’avais faim, j’étais sale et je devais puer! Alors, j’ai eu l’idée la plus étrange que l’on puisse imaginer : retourner à Trois-Rivières en auto-stop.
Je m’installe près d’un boulevard en direction de l’est, tend le pouce et, à ma grande surprise, la troisième voiture arrête. Le conducteur me demande où je désire me rendre. Ma réponse a dû le surprendre ! Je lui précise qu’en faisant de l’auto-stop près de l’autoroute, j’aurais une bonne chance. Il a mis en doute mon idée. Je ne sais pas trop pourquoi, mais je lui ai tout raconté ce qui m’est arrivé depuis hier. L’homme arrête en face de l’autoroute et se gare près d’un restaurant de malbouffe, m’invite à y entrer et me paie un repas. C’était quelque peu hallucinant ! De la bonté ? De la générosité ? Il m’a aussi proposé de coucher chez lui, mais ceci, j’ai préféré refuser. Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais pu oublier la gentillesse de cet homme.
Me voilà face à l’autoroute. Ce que je n’avais pas vu : une petite clôture. Comme elle était incontournable, je décide de passer par dessus. J’y arrive, mais déchire ma culotte courte de jeans. Je suis resté planté sur le bord de l’autoroute avec mon pouce tendu pendant une demi-heure, jusqu’à ce que je me rende compte que c’était une idée imbécile. La clôture de nouveau vaincue, je réalise que je suis alors très loin du terminus d'autobus. Il fallait retourner là-bas, mais j’ai aussi eu une autre idée imbécile : dormir dans un parc. Ça n’a pas duré longtemps...
Marche, marche et marche sur mes ampoules aux pieds ! Je décide de me reposer dans un abribus. Un gars passant par là me signale qu’il n’y avait plus de service à cette heure. Je lui explique que je n’ai pas dormi depuis près de quarante heures, que j’ai mal aux pieds et que j’étais là pour oublier un peu tout ça. Qu’est-ce que t’as ? demande-t-il. Je raconte à nouveau. « J’arrive du motel. J’avais loué une chambre parce que je me suis chamaillé avec ma petite amie, mais j’ai décidé de m’excuser. Si tu veux la chambre, t’as qu’à y aller. Pas de blague, hein ! Viens ! Je vais te montrer. »
Je me retrouve dans cette chambre et le gars me dit qu’il va aller voir sa blonde, que je n’aurai qu’à remettre la clef à mon départ. Puis il est parti. Je me sentais méfiant… Mais je me suis couché et… incapable de dormir ! Trente minutes plus tard, le gars cogne à ma fenêtre. « Laisse-moi entrer ! Elle ne veut rien entendre, l’hostie ! » Il avait deux bouteilles de bière. Les dernières choses dont j’avais besoin : un amoureux éploré et de la bière ! En fin de compte, je lui laisse la chambre, lui souhaite bonne chance et le remercie. Marche encore… La bière fait son effet. Envie de pipi ! Comme il me restait de la monnaie dans le fond de ma poche, j’entre dans un restaurant ouvert 24 heures et commande deux cafés. Le jour se levait et je ne voulais surtout pas rencontrer une autre personne qui me retarderait et me ferait rater l’autobus de sept heures.
Je me souviens que je suis passé près du stade olympique, me faisant réaliser que j’étais loin du terminus. Marche encore ! Eh oui : j’étais dans le véhicule à sept heures. J’avais encore faim, j’étais très sale, j’avais les pieds boursouflés et un fond de culotte déchiré ! À neuf heures, le samedi matin, j’étais dans mon lit pour dormir jusqu’à sept heures du soir.
À bien y penser, j’ai été chanceux : il n’y a pas eu de pluie.
Le roman sera publié l’année suivante par les Éditions JCL sous le titre Le Petit Train du bonheur.
Commentaires
Genre de truc qu'on ne peut oublier. Merci.
Quelle triste histoire : même rétrospectivement, je compatis !
Chaque fois que je suis retourné dans la région de monsieur Larouche, j'ai pensé à cette mésaventure troublante.
Salut Mario, toutes ces anecdotes sont intéressantes pour se mettre dans la peau de l'écrivain qui doute....
Je crois encore que tout ceci aurait pu être fait par téléphone. Je ne pourrais plus vivre une telle chose aujourd'hui...
Abracadabranstèque, comme aurait dit notre ex-président de la république Chirac. Mais, ça valait le coup puisque ce voyage fort aventureux t'a permis d'être publié....