Un ouvrage acheté lors de ma récente participation au Salon du livre de Trois-Rivières. Ayant repéré le titre dans le guide, j'avais décidé de m'en porter acquéreur sans l'avoir regardé, tant le sujet m'intéressait. L'auteure, Jocelyne Lemay, était présente, dans un coin pas tellement idéal pour parler aux visiteurs. J'ai lu cet ouvrage grand format de près de 300 pages en deux semaines.
D'abord, une mise en contexte, pour les aimables visiteurs européens. Schefferville est une ville minière (de fer) qui a pris naissance officiellement en 1955. De la fin des années 1940 jusqu'à cette date, la compagnie Iron Ore avait installé son équipement, transporté par un pont aérien incessant, alors que parallèlement, un chemin de fer, partant de Sept-îles, était construit dans la forêt, à près de 600 kilomètres vers le Grand Nord. La ville a été conçue par l'Iron Ore, sur l'emplacement des baraquements des ouvriers. Rapidement, des travailleurs bravaient le froid pour s'associer à ce Klondike du fer.
Schefferville avait une population de 4,500 habitants et était entourée de villages amérindiens. Elle n'avait rien d'une ville champignon. Tout y était neuf, desservant une population jeune. Il y avait des commerces de tous les genres, des églises et écoles, des policiers et pompiers, un cinéma, un centre récréatif (Avec piscine intérieure), enfin, tous les services relatifs au bon fonctionnement d'une municipalité. C'était un lieu de forte amitié, de solidarité, avec de nombreuses activités sportives et artistiques.
La réussite de Schefferville attirait des visiteurs du monde entier, dont celle de la reine d'Angleterre, de délégations d'autres pays. Iron Ore veillait à tout, avec beaucoup de respect pour la population.
Aux beaux jours ont succédé des moments très sombres, alors qu'en novembre 1982, Iron Ore décide de fermer les mines. Comme 90 % de la population travaillait pour la compagnie, le chômage et la misère guettaient les hommes et femmes. Il y a eu alors une première phase d'exode, avec compensations monétaires pour les déménagements. La population ayant décidé de ne pas quitter élabora des projets de relance, qui demeureront lettre morte. La seconde phase d'exil est beaucoup plus sombre, une honteuse page de l'histoire du Québec, alors que le gouvernement retire le statut de municipalité à Schefferville, dans le but de chasser les 250 Blancs têtus qui avaient décidé de ne pas quitter. Fermeture de l'hôpital, prime de départ coupées de moitié, hausses de taxes, menaces d'expropriation au coeur de l'hiver, ralentissement du service ferroviaire apportant la nourriture du sud, tant de choses abominables et inhumaines. Fermer une ville était une aberration, surtout pour les jeunes qui y étaient nés. Familles brisées, suicides, humiliations, population traitée comme du bétail. Pas un palmarès glorieux...
Vers la fin des années 1980, il y eut démollition d'écoles, de maisons, des églises, des commerces. Schefferville a pourtant survécu, malgré des années de difficultés et de pauvreté. Récemment, l'activité minière a recommencé, mais avec des compagnies moins puissantes que l'Iron Ore. De nos jours, il y a 2000 personnes qui demeurent à Schefferville, la plupart, des Amérindiens. La petite ville porte encore la marque de ces honteuses années 1980.
C'est ce que Jocelyne Lemay raconte. La femme est native de Schefferville. Ce qui frappe d'abord dans son livre, c'est la richesse des archives. Elle a tout utilisé ce qu'elle a pu trouver. Cela va de la construction du chemin de fer (qui mériterait un livre entier!) au travail des mineurs, des employés de la compagnie (Hommes de sciences, chercheurs, secrétaires - IBM était présent) jusqu'aux activités socio-culturelles de la ville, de son apport financier pour la région, de ce puissant lien unissant tous les citoyens du lieu.
L'intérêt est sans cesse soutenu, à cause de la variété des sujets abordés. L'écriture est d'une belle qualité. C'est non seulement un récit historique rigoureux, mais aussi une histoire au visage humain. L'implication personnelle de l'auteure est en retrait, par de courtes anecdotes entre parenthèses. Cependant, cette manifestation devient davantage présente dans le chapitre sur la fermeture de la mine et des malheurs s'abattant sur cette population et leur ville. On sent une vive émotion, la révolte, certains coups de gueule d'une jeune femme qui a vécu ces horreurs. Nous avons alors l'impression que cette femme nous parle intimement et nous n'avons pour elle que de l'admiration face à tant de courage.
Jocelyne Lemay a quitté Schefferville en 1988, à cause de sa petite fille. La jeune mère ne voulait pas que son enfant vive dans un milieu devenu si misérable. En fait, je crois que la fillette a quitté Schefferville. Pas sa mère.
Deux extraits. Le premier : l'hiver à Schefferville ! Je souligne qu'au cours de cette saison, des - 40, - 50 étaient monnaie courante.
Une saute d'humeur de Dame Nature apporta une tempête s'éternisant sur pratiquement trois jours, bloquant de ce fait toute circulation. Seuls les véhicules d'urgence, se révélant être des autoneiges à chenilles, réussisaient à passer. Ne voyant ni ciel ni terre, nous regardions par la fenêtre du salon et avions peine à distinguer l'autre côté du chemin. Lorsque Bonhomme Hiver se calma les esprits, la machinerie se mit à l'oeuvre, redessinnant les routes. Certains résidents sortaient par une fenêtre à l'étage afin de creuser un tunnel et ainsi atteindre la porte d'entrée entièrement ensevelie sous une épaisse couverture blanche.
Le second extrait nous présente un portrait désolant de la ville, au début des années 1990.
Le Schefferville de mon enfance s'était effacé petit à petit sous les impacts des intempéries et une démolition massive et funeste s'occupa du reste. Ceux qui assistaient à ce spectacle atroce en conservent un abominable souvenir. Mon quartier dépeuplé ne possédait plus que des rues vides cordées de maisons délabrées aux fenêtres cassées, placardées, aux portes défoncées, semi-décrochées, la structure défraîchie puis parsemée de tuiles arrachées.
Un livre qui m'a beaucoup ému et touché. Si vous désirez vous le procurer, ou poser des questions à Jocelyne Lemay, servez-vous de ce lien :
http://luniversdejoe.ca/contact-l-univers-de-joe/
Ce second lien vous mènera vers une courte émission de télé, avec la participation de l'auteure :
http://ici.radio-canada.ca/emissions/tout_le_monde_en_parlait/2014/reportage.asp?idDoc=340757
Le troisième lien vous présente le film Le dernier glacier, tourné à Schefferville au début de la première phase d'exil. Le film mêle des documents d'archive, des témoignages (d'enfants, entre autres) et d'une dramatique. Le résultat est discutable, mais ceci vous permet de dresser un portrait du lieu et de ses gens. Jocelyne Lemay, alors dans la vingtaine, témoigne brièvement, lors de la séquence tournée dans un bar.
https://www.onf.ca/film/dernier_glacier
Enfin, le fichier audio, ci-haut, vous présente la chanson Schefferville le dernier train, par Michel Rivard, composée pour le film.
Commentaires
Je l'avais regardé en février, mais je l'ai fait encore, après avoir lu le livre, ce qui donne une perception plus riche.
J'ai réécouté le film/documentaire au complet et j'étais très content de le faire grâce à ton lien si commode... Merci du partage et bonne fin de semaine.
musicalementd
Merci Jakin. T'en as fait, des choses, dis donc !
Merci Mario pour la présentation de cette tranche de vie dans les antres de l'industrie minière qui intéresse l'ethnologue que je suis....Je vais regarder cela avec beaucoup d'intérêt car j'ai travaillé dans une ville minière de Provence : Gardanne, extraction du charbon et qui à vécu la même aventure à la fin des années 90.....
Merci pour ce commentaire additionnel explicatif de ta part. Je te confirme que j'ai déjà regarder le film " Le dernier glacier " dans le passé mais que ça me donne l'envie de retourner... J'y vais de ce pas... Bonne fin de journée.
musicalementd
Ah, je crois bien que c'était la même chose. Dans le livre, il est souvent question de Labrador City que ce soit pour des compétitions de hockey ou autre chose ! Sauf que Terre-Neuve n'a jamais cherché à détruire ses villes minières comme le Québec avec Gagnon et Scheffer,
La chanson de Rivard prend plus de sens quand on voit le film. Rivard y tient un rôle
Content de voir que tu as ajouté l'audio pour la chanson de Rivard. Bonne journée demain encore une fois.
musicalementd
Article très intéressant qui m'a beaucoup plu ! Merci de ce partage qui me rappelle des souvenirs très précis ayant travaillé à Labrador City dans ma jeunesse. Une ville assez similaire j'ai bien l'impression. J'ai toujours aimé la chanson de Michel Rivard... Bonne journée demain.
musicalementd