Un livre de 1981 que j'ai acheté en 1994, même si je l'avais lu quelques fois. Depuis, j'ai recommencé. Entre autres, j'y ai pigé des renseignements pour mon roman L'Héritage de Jeanne. Cherchant une numérisation de la page couverture, j'ai été étonné de constater que cet ouvrage est toujours sur le marché. Un livre qui dure depuis trente-cinq années, c'est excessivement rare, au Québec.
Le but premier des auteures Geneviève Auger et Raymonde Lamothe était d'analyser l'image de la femme sur la publicité journalistique, du début du siècle jusqu'à la décennie 1970. Abordant les années de la Seconde Guerre mondiale, elles ont été surprises de voir les femmes socialement actives. Ceci les a incitées à chercher un peu plus. Voici donc la vie des femmes québécoises, et en partie canadiennes, au cours du conflit.
Les sujets présentés sont : les femmes à la maison, devant faire face à un rude rationnement, et qui pouvaient être actives à l'effort de guerre en économisant ceci ou cela. Ensuite, il y avait celles travaillant dans les usines de guerre et, de façon générale, qui étaient sur le marché de l'emploi pour remplacer les hommes mobilisés. Enfin : les femmes qui ont servi dans l'armée.
Tout ceci avait déjè été vu dans d'autres études, mais nos auteures présentent le tout d'une façon très dynamique, avec interaction entre des faits historiques, des extraits de journaux, mais aussi des témoignages de femmes ayant vécu ces situations. Elles étaient, au moment du livre, dans la cinquantaine et leur participation demeure très précieuse.
Le livre est rempli d'illustrations publicitaires extaites des journaux, où il y avait certes de la propagande, mais aussi l'image d'une femme importante dans la société. On y croise aussi des photos des archives officielles, et d'autres qui proviennent de collections familiales.
Tout ceci est étonnant et passionnant. On note le conservatisme québécois côtoyant une certaine ouverture d'esprit de la part du Canada anglais. Par exemple, pour aider les jeunes mères désireuses de travailler en usine de guerre, le gouvernement fédéral avait créé des garderies. Elles ont connu du succès partout au Canada, sauf au Québec, où le clergé trouvait scandaleux que des mères de famille confient leurs enfants à des étangères, y voyant là une forme de communisme. Parmi les autres clichés honteux : les femmes qui s'enrôlaient devenaient nécessairement des "Filles à soldat."
Si les femmes ont envahi le marché du travail à ce moment-là, elles étaient tout de même sous-payées. Le tout était perçu comme une situation d'exception. Dès la fin de la guerre, elles sont retournées à la maison. Une télégraphiste de l'armée avait alors tenté de se trouver un poste dans ce domaine, mais en vain : les entreprises engagaient des hommes.
J'adore la conclusion du livre, alors qu'une participante reproche le titre, qui, à ses yeux, aurait dû être : De la ligne de feu à la poêle à frire, car c'est ce qui s'est passé. Avant que le pourcentage de femmes sur le marché du travail atteigne de nouveau celui de la période 39-45, il faudra attendre vingt ans. Cependant, dans l'esprit féminin, il y avait cette semence qui allait grandir, à l'effet que toutes pouvaient travailler et devenir davantage que des ménagères à la maison.
L'extrait utilise des paroles glanées dans un journal, et qui peut faire rire un peu jaune aujourd'hui :
Ce quotidien (La Presse) affirme que l'expérience du travail ménager s'applique très bien au nouveau travail de la femme : "Le maniement des engins de guerre ne l'embarasse pas plus que les aiguilles à tricoter" ou encore : "Il n'est pas plus difficile de suivre une formule pour le remplissage des obus qu'une recette de gâteau."
De la poêle à frire à la ligne de feu, Geneviève Auger et Raymonde Lamothe, 1981, Boréal Express, 232 pages.
Commentaires
Florentin : Le travail n'était pas forcé, car il était très réglementé. Les célibataires étaient favorisées, tout comme les jeunes mariées sans enfants. Une femme de 32 ans, avec trois enfants, n'avait pas le droit de travailler dans les usines de guerre ou de s'enrôler dans l'armée.
Quant au haut clergé du Québec, on disait qu'il était plus catholique que le pape.
Ton livre me parait très intéressant pour comprendre l'évolution du féminisme dans le monde....Quant au clergé, il est égale à lui-même rétrograde et aveugle, c'est un comble pour ceux qui prétendent donner la Lumière ?
Cela fait 70 ans que le conflit 1939-1945 est terminé et depuis les choses ont bien changé. Aujourd'hui, les femmes travaillent à l'extérieur quand elles le veulent et choisissent le métier qu'elles veulent. Heureusement. Ce temps de travail forcé pour les femmes a sûrement servi à la montée de la professionnalisation féminine ! elles se sont alors aperçues qu'elles pouvaient se montrer efficaces dans n'importe quel domaine et que travailler pouvait donner du sens à leur vie.