C'est en mars 1995 que j'ai commencé la création de Mademoiselle et le petit homme, qui deviendra la seconde partie de Perles et chapelet, lors de sa publication, en 1999. Le sujet était la lutte pour la survie de Louise Tremblay, responsable du petit restaurant familial, cela pendant les années de la grande dépression de la décennie 1930. La crise, c'est une chose ; la crise à Trois-Rivières, c'est autre chose. À la recherche d'exactitude socio-historique, j'avais parcouru à peu près tous les numéros du journal local, entre 1930 et 1935.
Bien sûr, j'étais au courant de cette idée d'envoyer les chômeurs sur des terres de colonisation en Abitibi et au Tèmiscamingue. Par la voie du journal, cet aspect a pris un nom : Montbeillard, village de colonisation né en 1932 et en grande partie habité par les malchanceux de Trois-Rivières. Outre les articles de propagande, les colons installés là-bas donnaient un autre visage à la situation, comme, par exemple, ce groupe d'hommes et de femmes réclamant de l'aide aux gens de Trois-Rivières, parce qu'ils manquaient de tout. Il y avait aussi une longue lettre mordante d'une institutrice, affirmant que la colonisation de ce lieu était une cruelle utopie.
À ma grande surprise, j'ai trouvé à la bibliothèque de mon université une monographie des premiers jours du village. Habituellement, ce type de livre, destiné à la population locale, ne montre que les bons aspects du lieu. Pas Au temps du curé Michel, en majeure partie consacrée à des témoignages des survivants des premiers jours de Montbeillard. Il y avait aussi des photos tirées d'albums familiaux, la plupart hors foyer. C'était un livre fascinant à cause de son exception : c'était sombre et, je dirais, sale.
Je me suis servi de tout ça pour le personnage d'Honoré, ami de Louise Tremblay, et qui croit à l'idée du "salut par la terre" et qui désire se marier pour s'établir avec Louise à Montbeillard.
En 1998, à l'occasion de ma première participation au salon du livre de l'Abitibi-Témiscamingue, à La Sarre, lors de la journée des bibliothécaires, je rencontre une femme responsable de la biblio de Montbeillard. Tout de suite, je lui raconte qu'il sera question de son village dans mon second roman. Je lui ai parlé de cette monographie. Elle avait participé à la recherche et à la rédaction. Je lui ai mentionné mes sources du journal de Trois-Rivières, absentes de son livre. Il y a eu un déclic entre nous et je lui ai fait parvenir des photocopies de ces articles et, en retour, deux semaines plus tard, j'avais entre les mains une copie de la monographie (publiée confidentiellement en 1983). Elle avait ajouté des documents, entre autres le plan des terrains de colonisation, avec les noms des gens, leurs lieux de provenance. Montbeillard, au cours des années de la crise, c'était comme un quartier pauvre et lointain de Trois-Rivières.
D'année en année, cette femme, Diane St-Onge, revenait me voir à chaque salon. Elle m'avait dit que le village entier de Montbeillard avec lu Perles et chapelet.
Est-ce que je suis passé par Montbeillard ? Une seule fois, en 2001, à la fin du salon de Ville-Marie. Il était 6 heures 30 du matin et, traversant le village, je m'étais redressé pour regarder, pensant aux souffrances de ces gens de Trois-Rivières, jetés dans ce coin perdu et forestier. Je suis en train de relire Au temps du curé Michel et j'ai encore des frissons face aux témoignages et aux photos. Je suis toujours fasciné par cette histoire singulière de la colonisation de l'Abitibi-Témiscamingue au cours des années 1930. La photo nous montre une famille de colons face à leur cabane. Voici un extrait, très significatif :
Tu pars de la ville et de ta rue et tu arrives dans le bois et t'as jamais vu une telle chose. Tu te dis : c'est pas ça! On était découragés. Je pense que j'ai pleuré une semaine complète. On ne pouvait croire qu'on était pour habiter ça. On avait peur de sortir pour aller derrière la maison. Le premier jour, j'avais accroché mon manteau à un clou près de la porte. Le matin, j'approche pour prendre mon manteau et il était coincé dans la glace. On a tant pleuré!
Commentaires
Jakin : C'est ce qui s'est passé. Le discours officiels étaient idéologiques et traditionnels, mais la réalité voulait que les bien-pensants chassent les chômeurs des villes, loin des regards.
Un film a été tourné sur ce sujet, basé sur un roman québécois, mais le premier livre créé sur ce sujet provenait de la plume d'une romancière de... France, dont le nom m'échappe...
Salut Mario, c'est le lot de toute installation migratoire.. étrangère ou autochtone...la misère est repoussée à la périphérie....
Il y a les riches et les autres, ceux qui mangent de la brioche au petit déjeuner et ceux qui n'on rien pour vivre. C'est comme ça et ce sera toujours comme ça. Les sinistrés de Montbeillerd ont souffert et, aujourd'hui,on trouve une multitude de Montbeillard partout dans le monde. Je rends grâce au ciel d'avoir évité ça. Mais, c'est de la chance. J'aurais pu vivre sous des cieux moins cléments ... Bon; cessons d'être tristes. Bon week-end. Florentin