Quand j'étais petit, nous avions cet étrange 45 tours à la maison. Le titre de la chanson était le nom Gordie Howe, grande vedette du hockey pour les Red Wings de Détroit. Cela suffisait à l'enfant que j'étais. À l'adolescence, j'avais toujours ce disque et il a commencé à m'intriguer. J'ai alors pu comprendre les paroles : que l'évocation de la vie et de la carrière de Howe, les trophés qu'il a gagnés, ses habiletés, etc. Banal, d'autant plus que j'ai alors réalisé que c'était un mauvais disque. Mais qu'est-ce que c'était ? D'où cela pouvait-il provenir ? Quand ces Big Bob & The Dollars avaient-ils commis la chose ? Ma théorie : c'était un enregistrement des années 1950, décennie de pleine gloire pour Gordie Howe et ce 45 était ou un produit de la ville de Détroit, ou de la Saskatchewan natale de l'athlète.
Ce disque est disparu lors de mes grands ménages du printemps et je ne sais trop pourquoi je ne l'avais jamais oublié. Il fallait Internet et ses passionnés pour éclairer la situation, voici une quinzaine d'années, croisant un site d'un homme dont la passion était les chansons sportives. Il m'a tout raconté !
Le 45 tours datait de 1963 et sous le pseudo Big Bob se cachait Bob Davies, de Montréal, un des premiers québécois à avoir enregistré du rock au cours des 1950. Le disque était une autoproduction. Fier de sa chanson, Davies avait fait la tournée des stations de radio anglophones, qui avaient accepté de faire tourner le disque. Cependant, quand il avait tenté sa chance chez les stations francophones, le son de cloche avait été différent.
Je me dois d'ouvrir ici une parenthèse : Gordie Howe était un joueur détesté par les Canadiens français, n'appréciant pas que la presse de l'autre langue le considèrent comme "Le meilleur d'entre tous", comme le chantait Bob. Le meilleur, c'était le francophone Maurice Richard ! D'autant plus que tous savaient que Maurice haïssait Gordie. Alors, quand Détroit venait jouer à Montréal, le public huait Howe.
Les stations francophones ont fait savoir à Davies que sa chanson était une insulte aux partisans de hockey de Montréal et une horrible grimace à Maurice Richard et, conséquemment, Bob est sorti penaud, ses 45 tours sous le bras. Ayant eu vent de cette histoire, les stations anglos, ne voulant pas perdre leurs auditeurs francos et surtout ne pas hérisser les commerces achetant de la pub, ont retiré le disque de leur palmarès.
Bob Davies a tout de même pu faire entendre sa chanson dans l'Ontario anglophone, particulièrement dans le coin de Windsor, ville soeur de la Détroit américaine. Le disque a aussi connu du succès dans l'Ouest canadien et, bizarrement, un peu en... Angleterre.
Croyant que ceci avait fait naître une opinion défavorable des francophones à son endroit, Davies avait fait suivre ce disque par une chanson hommage à un autre joueur de hockey : Jean Béliveau. Le hic est que le titre était maladroit, traduisant Jean en John. Davies allait poursuivre avec la chanson sportive, dont un hommage à l'équipe de football des Alouettes de Montréal. Au cours des années 1970, Bob Davies animera une émission à la télé anglaise de Montréal, à propos de la musique western. Il est décédé en 2012 et Gordie Howe nous a quitté l'an dernier.
Écoutant ce (mauvais) disque, j'ai noté un autre indice de l'origine locale de cette chanson : il y a une boîte écholette branchée sur la guitare. Ce petit objet était très populaire chez les guitaristes à gogo de l'époque et on ne l'entendait presque pas ailleurs qu'au Québec.
Commentaires
Faut avouer que ce disque fait partie des tiraillements entre anglais et français de Montréal, et qui existent encore de nos jours.
En voilà une histoire qui nous fait connaître les dessous d'un 45 tours....
Chaque chanson a ses secrets.
bravo pour la photo du jour
à chacun son métier laissons la musique au musicien