Un livre trouvé dans une maisonette de dons du boulevard près de chez moi, et qui date de 1977. En bel état, même si la couverture d'origine est passée du blanc au jauni. Type de livre de témoignages, de la part d'un religieux Oblat d'origine française, qui a passé quarante années de sa vie dans la zone extrême nord du Québec, à quelques pas de l'Océan Arctique. Cet André Steinmann a donc connu les Inuits vivant de façon traditionelle et ceux utilisant une motoneige et habitant dans des maisons. D'ailleurs, devenu un vétéran, notre religieux racontait aux jeunes des années 70 ce qu'il avait vu à son arrivée en 1938 et ils ne le croyaient pas!
Il faut nuancer un peu : les Inuits de 1938 avaient recours à des produits des Blancs, dont de précieux fusils. Ils adoraient aussi le thé et le tabac. Cependant, ils étaient des nomades et vivaient sous la tente, dans des campements, sans oublier l'idéal abri temporaire : l'iglou. Leur vie en était une de survie : manger chaque jour! C'était le défi quotidien. La chasse et la pêche étaient donc le centre de leur mode d'existence.
Le rôle du religieux missionnaire n'était pas de convertir ces gens au catholicisme, mais de leur venir en aide à plusieurs points de vue. Steinmann devenait donc médecin avec les pauvres moyens du bord, sans oublier qu'il devait porter secours aux Inuits en mauvaise posture. Il a aussi construit une école et fondé un regroupement d'artistes inuits.
L'auteur écrivait très bien, parfois avec un langage un peu cru, pour un religieux. Il faut comprendre que cet André, dans sa jeunesse, était un voyou de la pire espèce, type de gars qu'on ne peut imaginer transformé en religieux. D'ailleurs, il détestait la soutane! Ses récits se concentrent sur la vie des Inuits et celle d'individus particuliers. C'est passionnant et, d'ailleurs, j'ai lu ce livre de 315 pages en quatre jours. Le titre, La petite barbe, se réfère au nom que les Inuits lui avaient donné car, à son arrivée, il ne s'était pas rasé depuis une dizaine de jours.
Les défauts du livre : le début et la fin. Les quarante pages d'évocations de sa jeunesse auraient pu être davantage résumées, car on ne plonge pas dans le vif du sujet. Le livre ne semble pas avoir de fin. Il a été réédité en 1991 sous un autre titre et je me demande si l'homme a ajouté un ou deux chapitres. Le bouquin d'origine est rempli de photographies magnifiques.
Je ne vous offre pas d'extrait, mais un résumé d'un chapitre captivant, que le religieux présente comme un suspense.
Koumak est un chef de famille devant faire face à un grave problème : les siens n'ont pas mangé depuis plusieurs jours, car le gibier se fait rare, en ce printemps 1940. Koumak demande à Steinmann de l'accompagner pour l'aider. Après avoir voyagé longtemps dans le froid, les deux hommes se rendent compte qu'au loin, deux phoques sont sortis de l'eau et se prélassent sur la glace. Honneur au religieux, qui rate son coup et fait replonger les deux bêtes. Koumak ne se décourage pas et fait preuve d'une grande patience, attendant que l'un des phoques remonte à la surface. Qualité récompensée : en voilà un! L'Inuit avance avec la plus grande prudence, pour ne pas se faire entendre, puis vise et tue le phoque.
Fou de joie, Koumak se lance vers sa prise, mais en sautant sur la glace, celle-ci casse et voici notre chasseur à la dérive, sur un îlot de glace. Le religieux, ayant entendu le coup de feu, se presse vers le lieu avec le traîneau et les chiens, puis voit son copain s'éloigner, en très mauvaise posture.
C'est difficile de longer la rivière, mais Steinmann y arrive, au moment où le courant devient plus mouvementé. Le glace s'immobilise près de la rive et le religieux désire lancer une corde pour sauver son ami. Vous savez ce que Koumak a répondu ? "Le phoque! Sauvons le phoque! Ma femme et mes enfants ont faim!" Arrivant à mettre la main sur la corde lancée, l'Inuit attache le phoque et... plonge dans l'eau glacée pour rejoindre son camarade. Alors, il tire sur la corde pour ramener sa proie, mais celle-ci était mal attachée, si bien que le phoque tombe à l'eau.
Une aventure qui se termine mal, mais qui montre jusqu'à quel point la chasse et la pêche étaient une question de vie ou de mort pour ce peuple.
Je ne sais pas si ce livre a été réédité une troisième fois, mais je crois bien qu'il doit survivre des exemplaires dans les bibliothèques publiques.
Commentaires
Tout à fait d'accord. Merci.
Livre d'expérience, mais livre d'histoire aussi. D'où l'intérêt de sauvegarder des livres de ce genre. Et de ne pas seulement les prendre pour de simples livres d'aventures ...
Les religieux écrivaient tout. On leur doit beaucoup pour l'Histoire.
Bien souvent avant les Ethnologues ou les Sociologues, ce sont les prêtres ou les moines qui écrivaient des monographies parfois intéressantes....