Les gens se baladant avec des béquilles téléphoniques et des ordinateurs de poche ne parlent à personne. Si on les salue, ils se méfient, esquissent un pas de fuite. C’est aussi le cas des types avec des vestons et des cravates.
Par contre, les moches, les exclus, avancent et veulent de la monnaie « parce que je n’ai pas mangé depuis hier », ce qui est sans doute faux, mais c’est un gentil mensonge, une formule qui a traversé les siècles. Alors, je donne et ils me parlent. Ils le font avec un langage qui est le leur, sans emprunts à la télé. Ils sont eux-mêmes au lieu d’être ceux qui sont prévus par la calomnie médiatique. Ils sont très polis et remercient. M’en fiche que si la somme acquise après une journée puisse servir à une dose. Cela ne me regarde pas et je ne suis pas le censeur de la vie d’autrui. J’aime mieux un gars saoul ou une femme stoned qu’un banal uniformisé.
À Trois-Rivières, ils vendent un journal de rue, dont le contenu est autre chose que le désert lisse des publications officielles. Ils travaillent, le font dans le froid, sans porter de fard, de déguisement. Plusieurs réclament aussi des cigarettes, gages d’échanges amusants avec leurs prochains. Peu importe leur âge, ils me font penser aux gens des années 1970, qui avaient des relations avec tout le monde, sans porter de jugement, sans cataloguer. Je les attire comme des aimants. Peut-être parce que je suis mal vêtu, pas souvent rasé, toujours les cheveux en broussaille. Sans doute qu’après tout ce temps, ils me reconnaissent, savent, à la manière des mouettes du parc, que ce gars va leur donner des sous et parler avec eux.
À Montréal, en 2010, lors de ma participation au salon du livre, je m’étais rendu à la Place Bonaventure à pieds, ce qui m’avait permis d’en rencontrer des dizaines. Un matin, j’arrête au dépanneur coin Saint-Denis pour acheter un café. En sortant du lieu, un d’entre eux m’apostrophe : « Aie, paye pas ça! Ils nous en donnent gratuitement à tel endroit! » Et voilà : j’étais du groupe! Je lui ai expliqué que je n’y avais pas droit. Il a semblé surpris. Alors, je lui ai donné une cigarette, caressé son chien, puis j’ai poursuivi mon chemin, saluant en souriant.
La même journée, je crois, je prenais un café sur les marches face à un édifice et un gars approche pour réclamer de la monnaie. Je lui demande s’il désirait un café. Pourquoi pas? Je lui ai refilé deux dollars et il aurait pu fuir avec la somme, mais il est descendu au dépanneur, acheté un café, puis s’est assis avec moi. Il m’a raconté toutes sortes de trucs, qu’il sortait de prison, avec pas d’endroit où dormir. Quand un piéton passait devant nous, il lançait sa demande, n’obtenant que des visages se tournant de l’autre côté, des sourires gênés. Alors, il s’est mis à prévoir les coups, avec un sourire narquois, un étonnant sens de l’observation. C’était très drôle et cynique! Je n’ai pas oublié ce gars et il m’a inspiré un personnage de mon roman Gros-Nez le quêteux.
Ce sont des déclassés, des marginaux, mais ils représentent mes plus profondes valeurs de partage, de liberté, d’amitié. « Où est passé tout ce monde qui a quelque chose à raconter? » chantait Harmonium, en 1973. Réponse 21e siècle : ils sont dans la rue.
Commentaires
Ce n'est pas qu'une question de gouvernement. Merci pour cette participation.
Ce qui est navrant c'est de voir su'il y en a de plus en plus.Nombre qui s'augmente aussi du flot des migrants du Maghreb et d'Afrique.Nos gouvernements traitent les problèmes séparémernt, mais ces gens-là éprouvent la même misère. Surtout en ces temps d'hiver. Notre Etat n'en fait pas assez pour eux. Le problème des SDF devrait être marginal et il ne l'est pas. Florentin.
Je comprends. Tu sais sans doute qu'il y a des dangers relatifs à cet appareil, qui lance des rayons dans l'oreille et, à la longue, brûle les cellules du cerveau. Cela en sorte qu'un usager quotidien d'aujourd'hui, qui a 18 ans, risque d'être touché par l'Alzheimer à 50 ans, alors que de nos jours, ceci concerne surtout des octogénaires.
J'ai beaucoup aimé ton article à propos de ces deux personnes qui pleurent et j'ai fait un lien avec ce qui j'ai écrit ici. Quand je me rends à la bibliothèque du centre-ville, j'ai toujours de la monnaie en trop, car je sais que les sans-abris ont adopté le centre-ville comme terrain d'opérations.
Je les aimE pas, pardon pour la coquille.
J'ai souri au fait qu'on te prenne pour un des leurs.
Quant à ton texte, il me touche au plus profond. Je suis beaucoup plus "formatée" que toi mais la "civilisation" actuelle m'insupporte chaque jour. par exemple, je ne supporte plus d'être entourée d'une forêt de gens rivée à leurs téléphones comme si leur vie était accrochée à ce "doudou", et même quand ils ne s'en servent pas ils l'ont à la main !!! Figure-toi que j'ai dû faire sortir une étudiante à cause de ces maudits trucs (j'ai fait peu de cours, mais je les préviens que je ne supporte pas 3 choses en cours : les portables, les chewing-gums, l'arrogance). Le jour du dernier cours, j'intime à une étudiante de ranger son portable, que je ne veux pas voir "c'est un principe, je vous l'ai dit, vous pouvez vous abstenir 1h30 de la vue de votre portable". Elle me regarde droit dans les yeux et me dit : "Je les aima pas, vos principes". En d'autres temps, je crois que je l'aurais giflée ; là, le l'ai "juste" mise dehors. Mais cette anecdote m'atterre.
Oui, j'ai vu ce banc censuré chez Florentin. J'espère qu'une telle horreur ne traversera pas l'Atlantique...
Le drame de notre société moderne fait qu'aujourd'hui des entreprises sont capables de présenter du mobilier urbain et des astuces pour devantures afin que les quêteux ne puissent plus dormir sur les bancs ou à l'abri d'une vitrine....Cachez moi cette misère que je ne veux plus voir ! Lamentable la société du 21ième siècle....
Salut Mario,
Les marginaux d'antan on savait qu'ils n'avaient pas grand-chose, on les connaissait, ils faisaient partie du quartier.
Aujourd'hui, on ne sait plus qui ils sont, ni d'où ils viennent, ils sont plus nombreux.
Le pire c'est qu'on ne peut leur donner la pièce à tous, ... à défaut de devenir "fauché" à notre tour !
C'est malheureux quand même.
A+
Gégédu28
PS: pour ce nouveau bouquin !
Chez nous aussi centre ville c'est drogue et bagarres et même dernièrement mort
Brest une ville de province qui était agréable
Il s'agit de leur parler. Ceux du centre-ville savent que je leur parle et ils apprécient.
on pense à tout ces gens sans toit avec la tempête sur notre région ???et de plus en plus des émigrés avant c'était les clochards ,les marginaux souvent avec une histoire de vie ratée on avait une faiblesse pour eux maintenant on a peur !! bonne semaine