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Titre du blog : Mario Bergeron multicolore
Auteur : Mario3
Date de création : 21-12-2014
 
posté le 05-01-2018 à 22:04:46

Mon ami André Bourassa

 

 

Cette photo a été prise le 19 août 1977. J'avais 22 ans et je me noyais dans ma période festive, avec les fins de semaines au bar Rio, à boire de la bière et à écouter du rock poussé au maximum, ne refusant aucune aventure. L'homme à mes côtés était exactement le contraire de moi. Et pourtant, je le considérais avec amitié et il aura une influence sur certains aspects de ma vie adulte. Son nom était André Bourassa, surnommé "Le Cartable", car il était comptable pour l'entreprise commerciale de mon frère, puis avant de mon paternel.

André était un homme conservateur. Alors que la plupart jouaient la carte décontractée du moment, Cartable portait veston et chemise blanche, la cravate, cela même pendant les canicules. Il était sans doute le dernier adepte des boutons de manchettes, du chapeau modèle 1951. À son arrivée, chaque matin, il se rendait dans notre petit coin pour se préparer un café, dont il faisait une grande consommation, cela même pendant les chaleurs intenses estivales, sous prétexte que la chaleur était idéale pour combattre la chaleur. Puis il nous racontait sa première blague de la journée. Elles étaient toujours nombreuses. Il avait une voix douce, était très calme, mais piquait parfois des colères terribles, principalement quand les chiffres de ses grands cahiers affichaient des anomalies. Ah oui, tout se faisait à la main, bien sûr, et André utilisait la plume et l'encre. Jamais de stylo. Il tapait les chiffres sur sa calculatrice en ne regardant pas l'appareil, tout comme il roulait ses cigarettes sans poser les yeux dessus. Si vous vous demandez pourquoi j'étais aux côtés d'un comptable : j'étais responsable du bilan de vente de chaque jour.

Le jeudi, jour de paie, je montais dans l'auto de l'homme, toujours une vieille bagnole cancéreuse. Il me laissait au centre-ville, pour mes achats hebdomadaires de disques. André aimait la musique, mais pas les chansons. Une aversion certaine pour Robert Charlebois! Il était du genre grands orchestres de musique instrumentale, avec violons.

J'ai travailé pour mon frère de 1977 à 1979, un peu par la suite, mais je croisais André depuis longtemps et je le ferai à l'occasion.

Autour de 2000, il me téléphone pour savoir si j'avais des disques de Guy Lombardo, orchestre ringuard des années 40. Ce n'était pas le cas, mais sur Internet, on pouvait trouver des fichiers. Je lui avais préparé un CD. Très content, le Cartable! Peut-être cinq années plus tard, je l'ai croisé au stade de baseball et nous avions eu beaucoup de plaisir à discuter de sports et, comme jadis, il me racontait des blagues. C'est alors que j'ai pensé que cet homme d'une autre génération et d'un caractère opposé au mien, avait de l'amitié à mon endroit. Je l'ai rencontré une dernière fois aux funérailles de mon père. Deux de ses légendaires blagues allaient trouver place dans autant de mes romans, dont le publié Ce sera formidable. Et puis hier...

LA FIN TRAGIQUE D'ANDRÉ

J'ai appris, via ma soeur, le décès de l'homme, survenu il y a près d'une année. Il avait 79 ans. En fait, tout le Québec était au courant, sauf moi, puisque cette disparition a été médiatisée. J'ai trouvé tout ça sur Internet et j'ai ressenti beaucoup de chagrin.

André était au début de la phase Alzheimer, si bien que sa famille l'avait confié à un foyer. Je connais ce lieu, puisque la mère d'un de mes amis y fut pensionnaire un certain temps. Un ancien motel, avec portes extérieures, un long couloir reliant les chambres à la salle à manger, au salon. Un endroit quelque peu austère. Par contre, les chambres étaient grandes, avec une toilette, une porte menant vers le couloir et une autre vers l'extérieur.

André n'y était que depuis un mois quand, une nuit de février, il décide sans doute de se rendre à la toilette, mais se trompe de porte et le voilà dans le froid hivernal de février, en pyjama, avec la porte verrouillée. Je devine son drame en tentant de retourner en dedans. Pas de caméra, de système d'alarme. Le matin, on a retrouvé André Bourassa mort de froid. Une année auparavant, une femme avait subi un sort voisin, sortant en pleine nuit, ne pouvant plus rentrer, tombant et s'assomant sur le ciment. Quelques mois plus tard, on a ordonné à ce foyer de fermer ses portes.

Il me reste les souvenirs, le son de sa voix, ses blagues, ses cafés et son rire.  

 

 

Commentaires

hazel le 08-01-2018 à 19:58:35
Très belle hommage a cette homme que fut André
MarioB le 06-01-2018 à 18:45:27
Sentiment partagé, Nikole.
Nikole-Krop le 06-01-2018 à 17:42:59
Triste histoire touchante.

Je ne sais si tu es comme moi, mais quand j'apprends après-coup la mort de gens cotoyés, et appréciés, je suis encore plus triste, regrettant de ne pas être allée à leurs obsèques : par respect pour eux, par respect pour les souvenirs communs passés, et leur force.
Florentin le 06-01-2018 à 15:04:37
Heureusement qu'on ne sait pas l'heure à laquelle la fin arrivera, ni comment on va mourir. C'est déjà beaucoup trop de savoir qu'un jour on disparaîtra. Florentin
anaflore le 06-01-2018 à 09:22:43
dramatique de n'avoir pas de réponse !!
MarioB le 06-01-2018 à 05:48:30
On le saura jamais...
johnmarcel le 06-01-2018 à 04:37:55
Peut-être n'a t-il pas eu conscience qu'il allait mourir ? Ou alors ça s'est passé très vite et qu'il n'a pas eu le temps de souffrir ?