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Titre du blog : Mario Bergeron multicolore
Auteur : Mario3
Date de création : 21-12-2014
 
posté le 11-11-2018 à 01:42:43

Le Fouinard

 

 

Lors de l'année scolaire 1973-74, j'étais de deux ans plus vieux que la norme des élèves de mon école, la Polyvalente du Cap, gros machin de béton accueullant près de 3000 garçons et filles. Cette année-là, mes deux meilleurs amis étaient déjà à un autre niveau et j'avais l'impression d'être seul. Ceci m'avait motivé à  m'inscrire à une activité parascolaire : le journal. Les simples étudiants considéraient les membres des activités comme des snobs, moi le premier. La suite allait me donner tort et fera naître une des années les plus extraordinaires de ma vie, qui aiguillera ma destinée adulte jusqu'à aujourd'hui.

Le journal portait le nom de Fouinard et était avant tout une feuille d'informations sur les activités mensuelles. Il était dirigé par une fille blasée et pas très intéressée à aller de l'avant. Ce n'était pas mon cas : j'écrivais déjà des romans, avais participé à deux pièces de théâtre et un véritable journal faisait partie de mes objectifs de création. Il y a eu un grave conflit entre cette demoiselle, Sylvie, et moi-même, si bien qu'elle a claqué la porte et que je me suis retrouvé seul membre de l'activité. Ceci faisait de moi le président et le représentant du journal au sein du conseil étudiant.

Ce dit conseil réunissait chaque semaine une personne responsable de chacune des activités, pour ébaborer des événements. Il y avait : la musique, les sports, un ciné et photo-club, une pastorale, une troupe de danse,  une radio étudiante, un comité d'aide (qui vendait des friandises lors des spectacles), mais aussi la troupe de théâtre La Katastrophe, avec à sa tête un talent brut en la personne de Jean-Marc. Le conseil était supervisé par un prof, Jean-Yves, qui n'était jamais là et dont on se fichait.

 

J'ai passé l'automne 1973 à élaborer ce que serait le Fouinard, qui ne paraîtra qu'en janvier 1974. Mon équipe était modeste : Françoise, poétesse amateur et fille discrète, Robert, caricaturiste talentueux mais garçon timide, et surtout Alain, curieux genre de dandy cynique et grande gueule.

 

Les Fouinards de 1974 donnaient certes de l'information, mais étaient ouverts à tous les jeunes de l'école. Alain écrivait des articles au vitriol et Robert proposait des caricatures heu... particulières! De ce fait, deux des Fouinards ont été saisis par la direction de l'école, nous ordonnant d'enlever des articles dits offensants et de jeter à la corbeille les oeuvres de Robert, entre autres une bande dessinée sur les secrets de la cuisine de la cafétéria, avec des rats et des araignées dans les chaudrons. Ces deux numéros ont fait naître des conflits entre le conseil étudiant et le Fouinard, mais je ne faisais pas de vagues. Le journal s'était aussi opposé à l'idée d'un bal de finissants et à une soirée type méritas. Bref, nous n'étions pas de tout repos!

 

Le conseil étudiant, sans l'aide d'adultes, avait engagé le groupe musical Harmonium (aujourd'hui un classique de la musique québécoise des 1970), organisé une semaine socio-culturelle, un café-étudiant, présenté des spectacles de théâtre et de musique attirant un public adulte. Aujourd'hui, dans la même école, les activités portent les titres ronflants de Sports-Études, Arts-Études, etc., et sont réservés aux élèves avec 70 % et plus, et les jeunes sont flanqués d'une armée de  profs bien pensants pour les diriger. alors que nous faisions tout par nous-mêmes, y compris trouver de l'argent pour nos projets. Nous sommes passés de la liberté au contrôle social paternaliste des jeunes par les adultes.

 

Ci-haut : l'emblême du Fouinard : une grosse dame amoureuse, alors que notre journaliste regarde sous sa robe et prend des notes. Le premier Fouinard censuré présentait les mêmes personnages, mais avec le journaliste sous la robe, une main sortant du soutien-gorge et agitant du poil. "Le Fouinard prend du poil de la bête", était le titre qui avait fait pousser des hauts cris aux directeurs de la polyvalente.

 

 

 

La page couverture du numéro suivant la première saisie par la direction de l'école, alors que notre turbulent journaliste est devenu un moine, avec l'indication 'Un nuage de sainteté s'abat sur le Fouinard".

 

Malgré mes résultats scolaires médioces, je n'étais pas de retour à la poly l'année suivante, mais inscrit au Cégep, où je tentais de poursuivre la fête, mais ce n'était plus la même chose, si bien que j'avais alors écrit un manuscrit de souvenirs à propos de cette année scolaire 73-74. C'est ainsi que j'ai pu garder au frais des noms, des situations et quelques documents, bien que je n'aie malheureusement pas conservé un seul Fouinard, sauf les pages couvertures.

 

Jeune adulte, je cherchais à poursuivre ce que j'avais vécu, avec une autre pièce de théâtre, un emploi à la radio, puis beaucoup d'écriture.

 

Je croyais que ces gens étaient mes amis pour la vie. Pas le cas... J'en ai revu quelques uns l'année suivante, puis une autre il y a une quinzaine d'années, alors que j'étais étudiant à l'université. Un des mes profs m'avait alors envoyé chercher un document dans un secteur de l'U où je ne mettais jamais les pieds. En cognant à la porte du bureau, je tombe nez à nez avec Lise, ancienne présidente du conseil étudiant. On s'est regardés dix éternelles secondes et le film de 1973-74 s'est déroulé en accéléré dans nos cerveaux. Je lui avais dit "Bonjour, présidente", ce qui l'avait fait rigoler.

 

Le Fouinard ne m'a jamais quitté et on retrouve son esprit dans certains de mes romans, tels Les Fleurs de Lyse, Les Baveux, sans oublier le personnage de Jeanne de mes romans publiés de la série Tremblay. Je possède toujours, en encadré, cette caricature que Robert avait fait de ma personne.

 

 

 

 

Au début de la présente année, regardant les souvenirs rédigés en 1975, j'ai pensé que cela ferait un bon roman. C'est ma tâche depuis le 1 août. J'ai gardé des situations réelles, utilisé les membres du conseil étudiant, dont je me souviens avec limpidité. J'ai ajouté d'autres personnages et situations, mais qui auraient pu survenir en 1973-74. Chaque jour, en écrivant un petit bout de ce roman, je redeviens adolescent et grand patron du Fouinard. Vieillir, c'est rejeter ce que nous avons été.

 

 

Commentaires

MarioMusique le 12-11-2018 à 21:59:20
Au bas du dessin, on voit des disques sur le plancher, mais je les ai ratés lors de la numérisation. Hors les cheveux, ça me ressemble toujours !
jakin le 12-11-2018 à 19:38:15
Les Caricatures sont excellentes....Mario je t'ai reconnu immédiatement...Il manque le cendrier pour ta clope !
MarioB le 11-11-2018 à 22:46:57
La reprise de textes ? Non, pas du tout. Il y a dans le texte de 1975 des éléments qui servent de base à ce que j'écris actuellement, mais je ne reprends aucun de ces mots de jadis. Il y a des noms qui ont été changés, car au conseil, il y avait deux Lise et deux Robert, ce qui ne serait pas bien pour un roman.


Le nom Fouinard n'était pas de nous. Quant à notre symbole, il était dans 'l'air du temps', avec les revues de BD françaises et Mad Magazine, alors très populaires auprès des jeunes.

C'était assez curieux de voir un gars comme ce Robert dessiner des choses tordues, alors qu'il était timide, parlait peu.
chocoreve le 11-11-2018 à 15:37:33
Quelle idée géniale que la reprise de textes,

pour faire revivre le passé, être l'adolescent du présent, et ainsi conserver à l'esprit ce que nous avons été !...


"Le Fouinard" moi j'adore le nom du journal !

(mais moins son emblème !)
johnmarcel le 11-11-2018 à 14:52:20
J'étais au texte et le copain au dessin dans le journal de notre collège… le copain s'est fait virer, plus de dessin… plus de participation au journal, ni suite ni fin de l'histoire…