Le 26 juillet dernier, en apportant des ajustements à mon roman La Splendeur des affreux, j'ai croisé un passage décrivant une réunion amicale dans le cadre d'un Noel de 1820. J'ai alors réalisé que c'était un texte réussi et ai pensé que cette fête était souvent évoquée dans mes romans, publiés ou non.
Je me souviens qu'en écrivant le roman qui deviendra Perles et chapelet, avec deux personnages moqueurs et turbulents, j'avais tendance à être moi-même turbulent et moqueur, ce qu'une compagne de l'université m'avait reproché de vive voix, croyant qu'elle ne méritait pas mes sarcasmes.
Je me rends écrire à ce parc depuis 2009, d'avril à novembre, parfois en décembre. Selon la température, j'y vais deux fois par jour. Le café est acheté au dépanneur, tout près. Mine de rien, ma présence intrigue beaucoup de gens. Plusieurs se demandent ce que je fais là et osent, avec hésitation, me le demander, y allant de quelques théories : j'étudie, je lis, je dessine. Personne ne dit : tu écris un roman. Il y a quelque temps, une femme s'est arrêtée pour en avoir le coeur net, avouant, en premier lieu, que cela faisait quelques années qu'elle me voyait sur ce banc, la tête penchée, le stylo à la main. Alors, je lui ai expliqué et elle a enchaîné avec plusieurs questions sur mes romans, l'inspiration et toutes ces sortes de choses.
J'attire votre attention vers le petit bureau qu'on voit à peine, avec ses tiroirs jaunes et son dessus noir. Je possède toujours ce meuble, chez moi. Au cours de ma vie, il m'a servi à une chose : vivre des romans. La machine à écrire n'est plus là, mais mon premier ordinateur, en 1993, y était installé. Ce n'est plus le cas de nos jours, mais, au cours de l'hiver ou par température pluvieuse, je m'y installe pour créer.
C'était une activité de jeunesse. Il n'y avait qu'à consulter une revue française pour trouver une petite annonce d'une personne désirant échanger avec une autre. Comme ma grande soeur le faisait avec plaisir au cours des années 1960, j'ai pris la relève avec la décennie suivante, cela jusqu'au début des 1980. Essentiellement des filles. Je ne me souviens pas avoir écrit à un homme. Elles étaient surtout françaises, mais aussi d'Algérie, du Viet-Nam. C'était agréable d'ouvrir la boîte aux lettres, de trouver une enveloppe, de s'empresser de lire. J'ai gardé un certain nombre de ces enveloppes, comme celle que vous voyez ci-haut.
Je me souviens avoir fait une telle chose, mais une seule fois dans ma vie : commencer un nouveau roman alors que le précédent n'est pas terminé. Cependant, il achève! Je dois dire qu'il ne n'enthousiasme guère... L'idée de débuter une nouvelle aventure est motivée par la température. Il commence à faire froid pour fréquenter le parc. Autour de dix degrés, parfois moins, et mon stylo devient plus difficile à tenir. Dans une semaine, peut-être, il y aura beaucoup de pluis ou de la neige et je ne pourrai plus me rendre "à mon bureau d'écrivain du parc du Moulin" et j'ai pensé que le lieu était excellent pour commercer un roman. Alors, je vais valser sur deux fronts pendant une douzaine de jours.
J'ai créé mon premier roman à l'âge de 16 ans. Il portait d'ailleurs le titre Le récit de nos seize ans. Il s'agissait des aventures d'un jeune couple, Bucky et Jenny, en 1956, dans la ville industrielle de Manchester, au New Hampshire, où je venais de séjourner. Au-delà du mot Fin écrit à la dernière page, j'allais créer un monstre qui, petit à petit, fera de moi un écrivain. Comme je trouvais les personnages sympathiques, j'ai poursuivi de façon informelle et improvisée, sous le titre de Jenny de Manchester. J'allais le faire jusqu'au milieu des années 1990, alors que le roman adopte un troisième titre : Horizons. Grâce à ces improvisations, j'ai appris quelques trucs dont je me servirai pour mes romans publiés. De plus, volontairement ou pas, certains personnages des romans commercialisés sont des variations de ceux croisés dans Récit/Jenny/Horizons.
Je me suis branché Internet en 1997 et j'ai tout de suite cherché à échanger avec des femmes européennes, en souvenir de mes correspondantes postales de ma jeunesse. Je n'ai cessé depuis. Il y en a eu de toutes sortes : des personnes qui n'écrivaient pas longtemps, mais, par contre, d'autres qui ont été fidèles et attachantes, dont une femme de la banlieue parisienne, avec qui j'ai échangé pendant huit années et avec qui j'étais devenu intime. Il y a eu toutes sortes d'émotion, entre autres pour une amie qui est décédée en cours de route. La plus gentille de ces femmes était aussi de Paris. Je lui ai écrit pendant trois années, presque chaque jour, mais en juin 2014, pour des raisons personnelles, elle a décidé de cesser, ce qui m'a fait de la peine.
Le public des salons du livre posait des questions qui étaient des clichés. Loin de moi l'idée de condamner les gens ; leurs questions étaient le résultat d'interventions d'auteurs, entendues à la télé ou à la radio, lues dans les revues et journaux. À force d'entendre les mêmes choses, je répondais toujours les mêmes trucs, afin d'attirer l'attention vers moi-même et mes romans. Où trouvez-vous votreinspiration ? Je n'en ai pas, madame : j'ai des idées. Vivez-vous devotre plume ? Très bien monsieur ! Deux mois par année (Celle-là, tout le monde la trouvait drôle.) Combien d'heures écrivez-vous parjour ? Dix à vingt minutes. (La vérité et les gens ne semblaient pas me croire.) Avez-vous déjà vécu l'angoisse de la page blanche ? Non madame, car j'écris sur du papier jaune.